Bonjour à toutes et à tous,
Comme la plupart d’entre vous, en tant que fan de la page « Femme Algérienne », je lis les chroniques publiées par Soumiya et j’aime bien y découvrir les différents combats des chroniqueuses. C’est en lisant l’une de ces chroniques que j’ai songé à partager mon histoire avec vous. Je préviens tout de suite, ce n’est pas une histoire d’amour mais cette partie de ma vie m’a forgée et construite c’est pourquoi j’ai souhaité vous la raconter. Petite précision: je ne suis pas écrivain ou auteur et j’ai toujours été nulle en expression écrite. Rajoutez à cela le fait que ces souvenirs sont bouleversants et que j’essaye de ne pas trop m’attarder dessus. Ne vous attendez donc pas à un récit parfait, il s’agit plus d’un témoignage qu’autre chose.
Je m’appelle Maya et j’ai 35 ans et j’ai 4 frères et sœurs (Amine 33 ans, Rima 30 ans, Imad et Mouna 24 ans). Je suis très proche de mes frères et sœurs et j’espère du fond du cœur que ce lien ne fera que se renforcer avec les années.
Nous avons grandi dans une famille modeste (ni riche, ni pauvre), des parents aimants et compréhensifs, papa ingénieur, maman professeure de chimie à l’université. Papa n’était pas démonstratif ou du genre à s’épancher sur ses sentiments, même si aucun de nous n’a jamais douté de son amour pour nous. C’est un homme très strict et la plus grande marque d’affection pour lui équivaut à une tape sur l’épaule et un « c’est bien ma fille/ mon fils ». En soi, c’est peut-être triste, mais heureusement pour nous, maman compensait largement son manque d’effusions. A l’inverse de lui, ma chère maman était tendre, douce, à l’écoute et très très câline. D’ailleurs je recommande à toutes les mamans de ne pas être avares en marques d’affection avec leurs enfants. Croyez-moi ça restera gravé en eux pour toujours.
Lorsque j’avais 10 ans environ, maman a commencé à se sentir faible et fatiguée. C’est vrai que dans l’absolu, ce n’est rien mais pour une petite fille qui est très proche de sa maman, c’est déstabilisant et désarmant. Maman, qui d’habitude était si énergique, si pleine de vie, se retrouvait alitée et épuisée. Elle n’arrivait même plus à manger. Après avoir consulté un médecin, elle avait appris qu’elle attendait un bébé. Tout le monde était heureux et disait que lewham était toujours difficile, et l’avis de tous se renforça lorsqu’elle sut qu’elle attendait des jumeaux. Je sais que ni mon père, ni elle n’avaient prévu cette grossesse mais ils en étaient très fiers et étaient reconnaissants envers Dieu pour ce cadeau.
Durant les premiers mois, au lieu de prendre du poids, maman en perdait et de façon vertigineuse. Pourtant, personne ne s’était alarmé.
La grossesse est passée, les deux petits monstres (rassurez-vous j’adore mon frère et ma sœur, c’est affectueux comme qualificatif) sont nés un peu prématurément mais rien de bien grave. Ils sont très vite sortis de l’hôpital et la vie a repris son cours normal…enfin presque. La santé de maman ne s’améliorait pas, elle allait de mal en pis. Les gestes les plus élémentaires lui devenaient impossibles à accomplir. Je me souviens qu’une fois elle m’avait demandé de lui donner un drap parce qu’elle avait froid, j’ai couru en chercher un et je le lui ai lancé de là où j’étais. C’était une très courte distance mais quand il a atterri sur elle, elle m’a dit « Aie, il m’a fait mal ». J’ai rigolé et je lui ai dit « Tu exagères maman ».
Pendant près d’un mois, elle est restée alitée, mes grands-mères et mes tantes se succédant pour l’aider, jusqu’à ce que mon père soit excédé par cette situation et qu’il l’oblige à aller voir un médecin.
Une batterie de test et d’examens plus tard, le couperet est tombé. Elle avait un cancer colorectal qui s’était étendu à plusieurs organes. Je me souviendrai jusqu’à mon dernier souffle de ce jour. Je suis rentrée de l’école à midi avec mon frère. Nous nous attendions à trouver une de nos tantes ou notre grand-mère mais pas toute la famille. Mes deux grands-mères, mes grands-pères, mes tantes tous côtés confondus, mes oncles… c’était terrifiant parce que leur visage à tous criaient qu’une catastrophe s’était produite alors que leur bouche tentaient vainement de prononcer des mots rassurants. Depuis, je ne me fie plus aux mots mais aux expressions et aux gestes des personnes.
Le contraste entre leurs visages et leurs mots était presque insultant et l’espace d’un instant, je me suis demandé s’ils nous prenaient pour des débiles, mon frère, ma sœur et moi. Nous avons tout de suite cherché maman. Elle était dans sa chambre et ce n’est qu’en la voyant que j’ai retrouvé un peu du réconfort que je connaissais. Son visage exprimait de l’inquiétude certes, mais son amour et son affection prenaient le dessus et lui donnait ce même air angélique, limite auréolé que je lui ai toujours connu. Je sais que je fais une description un peu bizarre d’elle à coup d’auréole et d’ange, mais je vous jure que c’est l’image que je garde d’elle. Un visage doux, le regard bienveillant et cette impression que rien ne pouvait nous atteindre lorsqu’elle était avec nous. Peut-être en ai-je gardé un souvenir empreint de cette naïveté et de cette candeur d’enfants, mais je pense que même si elle avait vécu, j’aurais continué à la voir de cette manière.
Tous ces souvenirs sont tellement bouleversants que je ne peux m’empêcher de pleurer, de verser des larmes que je ne cesserai jamais de verser pour maman.
Entre la découverte de son cancer et son décès, il a dû s’écouler peut-être 6 mois. Elle a porté ce poids avec une dignité que j’admirerai toujours. Elle a continué à faire sa prière jusqu’à la dernière semaine. Elle continuait tant bien que mal à nous aider dans nos devoirs. Mais surtout jusqu’au bout, elle a gardé l’espoir d’une guérison miracle.
Dès que nous rentrions à la maison, mon frère, ma sœur et moi nous courions dans sa chambre et nous nous blottissions contre elle. Personne ne nous avait rien dit mais les enfants n’ont pas besoin de mots pour comprendre. A chaque fois que l’un de nous se collait face à son visage, elle détournait sa bouche et son nez et nous disait « je suis un peu malade, ne me laissez pas expirer près de vous, je risque de vous contaminer ». Il y avait toujours quelqu’un pour lui dire que ce n’était pas possible mais je crois bien que plus que propre mort, l’éventualité que l’un de ses enfants tombe malade la terrorisait d’avantage.
Ses derniers jours furent très difficiles. Un après-midi, je l’avais entendu pleurer et dire à sa mère « Parle-leur de moi, dis-leur que je les aime, je ne veux pas qu’ils m’oublient ». Par moment, elle criait de douleur et pleurait beaucoup quand elle croyait que nous n’entendions pas mais nous étions réglés au rythme du moindre mouvement dans la maison. Nous étions conscients que chaque bruit dans la maison annonçait quelque chose de grave. Nous nous étions entendus, mon frère, ma sœur et moi : si l’un de nous entendait quelque chose, il préviendrait les autres.
Les deux derniers jours, elle a sombré dans une sorte de sommeil duquel elle ne s’est plus jamais réveillée.
Je me souviens que c’est arrivé la nuit de lundi à mardi. Nous avions été réveillés par des pas dans le couloir et une sorte de sanglot étouffé, puis plus rien. Un calme suspect a régné toute la nuit ensuite et personne n’est venu nous voir jusqu’à ce que nous finissions par nous rendormir. Ce n’est que le mardi matin, jour Oh combien mémorable, que mon père nous a annoncé la nouvelle. Il avait les yeux rouges, les joues mouillées. Il a mis quelques minutes avant de se calmer et nous annoncer la nouvelle.
« يماكم راحت عند ربي »
C’est la seule phrase qu’il a pu prononcer avant de se murer dans le silence qu’il jugeait, je pense, plus adéquat que l’image d’un père s’effondrant devant ses enfants nouvellement orphelins.
C’était très abstrait comme nouvelle et comme information. J’avais 12 ans et comprendre les implications de cette perte était trop compliqué pour moi. Mon pauvre frère me disait « qui va devenir notre maman ? Nous allons vivre seuls avec papa ? » Ma sœur disait « Où va habiter maman ? Comment elle va monter chez Rabbi ?». Moi je me demandais ce que nous allions tous devenir, Imad et Mouna avaient à peine quelques mois.
Nous n’avons pas été autorisés à voir maman Allah yerhamha et ça restera ma plus grande blessure. J’aurais tout donné pour la voir une dernière fois mais les adultes m’ont refusé cette ultime opportunité. Je n’ai même pas été autorisée à entrer dans la pièce où elle reposait avant qu’elle ne soit emmenée. Nous avons passés la matinée dans la chambre, mes tantes se relayant pour nous garder.
Lorsque maman a été emmenée, nous avons été libérés de notre prison et nous sommes allés dans le salon et là, j’ai entendu deux femmes, lesquelles après nous avoir vus, avaient dit « les pauvres, leur mère les a laissés et elle va beaucoup leur manquer. Heureusement que les deux petits ne se souviendront pas d’elle. »
C’est là où j’ai pleuré. Je suis retournée dans la chambre et j’ai pleuré tout mon saoul. Cette femme avait raison, Mouna et Imad ne se souviendraient jamais de maman. Qu’importe les photos que nous leur montrerons, qu’importe les anecdotes que nous raconterons, ils ne se souviendront jamais de son sourire, de la chaleur de ses mains lorsqu’elles se posaient sur nos joues, de son rire, de son air faussement sévère, de son odeur parce que maman avait une odeur particulière. A chaque fois que je prenais ses mains et que je les posais sur mon visage, elles sentaient l’oignon. L’odeur de l’oignon n’est pas spécialement agréable mais sur les mains de maman c’était le parfum le plus enivrant que Mouna et Imad ne connaitront jamais ça. Elle sera pour toujours une inconnue construite sur des déclarations et non sur des moments passés avec elle. J’ai pleuré sans pouvoir m’arrêter. Ma maman reposait désormais dans le passé et ne serait plus qu’un souvenir.
Puis les jours sont passés, les visiteurs se sont faits de plus en plus rares, mes tantes ont dû retourner dans leurs foyers. Seules mes grands-mères étaient restées avec nous et dans quel état étaient-elles.J’ai eu la chance d’avoir deux mamies extraordinairement gentilles et douces qui n’avaient jamais posé de problème dans la famille. Seulement leurs âges bien avancés et leurs santés déclinantes ont fait qu’elles n’ont pas réussi, les pauvres, à suivre le rythme de cinq enfants. Ma grand-mère paternelle a fait un AVC peu de temps après et a dû s’installer chez ma tante pour le reste de ses jours. C’est Kbida, ma grand-mère maternelle qui est restée avec nous.
Mon frère et moi, après avoir été de brillants élèves étions en total échec scolaire. A la fin de cette année, mes enseignants avaient préconisé un redoublement auquel mon père n’a rien pu faire en dépit de ses innombrables suppliques. Il expliquait tous les jours à mes professeurs, au directeur et à tous ceux qui voulaient bien l’entendre que ce n’était qu’un faux pas et que l’année suivante je récupèrerai mon retard, que mes problèmes à l’école résultaient de la terrible épreuve que nous venions d’endurer. Malheureusement, ses arguments ne furent entendus par personne et j’ai dû redoubler ma première année de collège.
Mon frère et ma sœur avaient réussi de justesse mais leurs maitresses d’école avaient été plus réceptives et plus compréhensives.
Cet été-là, fut horrible. Vivre et exister dans une maison qui vous rappelle à chaque coin votre maman disparue étaient un supplice. Imad et Mouna grandissaient et le travail qui accompagnait ce développement épuisait ma grand-mère. J’avais beau essayer de l’aider, je n’avais ni les connaissances ni l’expérience qu’il fallait. Elle souffrait de polyarthrite qui faisait que ses doigts étaient constamment pliés. A un moment, elle n’arrivait plus à les déplier.